Résumé
Nous sommes, dans notre vie quotidienne, en permanence exposés à un cocktail de substances chimiques qui, pour certaines, peuvent mimer les actions des hormones sexuelles femelles, à savoir les œstrogènes. Il y a là matière à s’inquiéter quant aux effets que de telles substances, connues sous le nom d’œstrogènes environnementaux ou xéno-œstrogènes, pourraient avoir de néfaste pour la reproduction chez l’homme et l’ensemble du monde animal. Les chercheurs ont un rôle clé à jouer dans la compréhension des mécanismes par lesquels ces substances agissent sur le système de reproduction afin que nous soyions mieux à même de juger si elles représentent un danger réel pour la procréation humaine.
La menace ressentie: panique ou réalité ?
La production des spermatozoïdes en baisse chez l’homme, l’incidence accrue du cancer du sein chez la femme, des poissons féminisés, ou encore des alligators affublés d’un micropénis, voilà quelques exemples des altérations du système de reproduction rapportées au cours des dernières années avec, pour dénominateur commun, le fait de pouvoir toutes avoir été causées par les œstrogènes. Des recherches récentes ont montré que de nombreuses substances chimiques produites par l’homme pouvaient agir comme des œstrogènes de faible efficacité mais tout de même capables de mimer au moins en partie les effets de nos propres hormones naturelles. Ces substances sont présentes dans la vie de tous les jours. On peut les trouver aussi bien dans le revêtement intérieur des récipients alimentaires que dans les pesticides, dans les plastiques que dans les peintures. La question qui se pose est de savoir si ces substances chimiques sont vraiment responsables de l’accroissement des troubles de la reproduction. En fait, s’agit-il d’une peur panique, ou d’une réalité ?
L’incertitude
Les chercheurs savent depuis un certain temps maintenant qu’une exposition à des doses excessives d’œstrogènes à certaines étapes du développement peut avoir des effets néfastes sur la vie reproductive. Par exemple, des femelles traitées par des œstrogènes à un moment critique pour la sexualisation du cerveau sont incapables d’ovuler à l’âge adulte, et présentent en outre des comportement sexuels propres aux mâles. Est-ce que des xéno-œstrogènes pourraient reproduire ce type de troubles ? Autre exemple, celui qu’on trouve dans l’étonnante théorie émise pour expliquer la chute des taux de spermatozoïdes enregistrée au cours des 50 dernières années dans les spermogrammes humains. On sait que la capacité de l’homme à produire le sperme est déterminée par le nombre de cellules de Sertoli, des cellules spécialisées du testicule. Le nombre de ces cellules se trouve sous la dépendance d’une hormone sécrétée par l’hypophyse, l’hormone folliculo-stimulante (FSH), mais ceci seulement pendant une période critique limitée à la fin du stade fœtal et au début de la vie néonatale. Si, au cours de cette période critique, des animaux sont exposés au diethylstilbestrol, un œstrogène de synthèse, la quantité de FSH produite par l’hypophyse fœtale s’en trouve diminuée cependant que les testicules sont, chez le nouveau-né, plus petits que la normale et ils contiennent moins de cellules de Sertoli.
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“…Les testicules sont, chez le nouveau-né, plus petits que la normale et ils contiennent moins de cellules de Sertoli…”
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Ces animaux produisent moins de sperme quand ils atteignent l’âge adulte. Est-ce que des xéno-œstrogènes pourraient avoir les mêmes effets ? Des chercheurs ont récemment montré que si des femelles gestantes recevaient une substance chimique du nom d’octylphénol, il y avait chez le fœtus une baisse de la sécrétion de FSH. L’octylphénol est un produit de dégradation d’une famille de substances utilisées dans la fabrication de détergents et de peintures. On peut penser que si le contact avec cette substance avait lieu suffisamment longtemps au cours de la période de sensibilité mentionnée ci-dessus, il pourrait conduire aussi à une réduction et de la taille des testicules et de la production des spermatozoïdes. Cependant il convient de rester prudent. Nous ne savons pas encore dans quelle mesure le corps humain est vraiment exposé à des produits chimiques tels que l’octylphénol, et jusqu’à présent il n’y a pas de preuve directe qu’il existe un lien entre une exposition à des produits chimiques et les changements observés dans les spermogrammes.
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“…Les récepteurs des œstrogènes sont versatiles : ils sont capables d’interagir avec plusieurs centaines de substances différentes…”
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Comment éclaircir le mystère ? Le rôle de la recherche
Pour que les œstrogènes exercent leurs multiples effets dans notre corps, ils doivent d’abord se lier à un récepteur, une protéine spécialisée présente à l’intérieur des cellules cibles qui reconnaissent ainsi l’hormone et lui permettent d’agir en régulant les divers gènes aptes à répondre à sa stimulation. Les récepteurs des œstrogènes sont versatiles : ils sont capables d’interagir avec plusieurs centaines de substances différentes. Dans certains cas, ces substances ont des structures si dissemblables de l’œstradiol -un des œstrogènes naturels- qu’on a du mal à imaginer qu’elles puissent avoir une activité hormonale. Elles ont en fait une faible activité œstrogénique en comparaison de celle des œstrogènes naturels, cependant, si elles sont administrées à des doses suffisamment fortes, elles peuvent activer les récepteurs des œstrogènes d’une manière quasiment identique aux vraies hormones naturelles. Jusqu’à tout récemment, on pensait qu’il n’existait qu’un seul récepteur des œstrogènes. Cependant les chercheurs ont découvert à présent un second récepteur (ERbeta) qui présente une attirance différente de celle du récepteur original (ERalpha) pour certains œstrogènes environnementaux et/ou naturels. Ce nouveau récepteur se trouve en plus fortes concentrations dans certains tissus comme la prostate, les ovaires et le cerveau. Les scientifiques pensent à présent que c’est la combinaison de ces différents types de récepteurs œstrogéniques qui, de concert avec leur distribution tissulaire particulière, serait déterminante pour rendre certains organes/parties du corps plus spécifiquement susceptibles à l’action d’œstrogènes naturels ou à celle de xéno-œstrogènes (voir la figure).
Légende : Les différences tissulaires portant sur le type et la concentration des récepteur des œstrogènes expliqueraient comment les œstrogènes naturels, synthétiques et environnementaux pourraient avoir des effets spécifiques sur l’organisme humain. Ainsi, ERalpha qui prédomine dans la cellule 1, se lierait préférentiellement à un type particulier d’œstrogène (œstrogène A) cependant que ERbeta, situé dans la cellule 2, se lierait préfèrentiellement un autre œstrogène (œstrogène B). Après interaction de ces œstrogènes avec leur récepteur privilégié, les complexes s’associent en dimères et se lient sur des éléments de réponse aux œstrogènes (ERE) présents sur des gènes cibles. Les EREs de ces gènes peuvent avoir une préférence pour l’un ou l’autre des types de récepteurs. Ces mécanismes de contrôle multiples et complexes permettraient aux différents types d’œstrogènes (et peut-être, de xéno-œstrogènes) d’agir dans une région particulière du corps et modifier ainsi de façon spécifique l’activité d’un gène cible.
Dans quelle direction aller maintenant ?
Le problème des xéno-œstrogènes soulève un intérêt grandissant. Les organismes gouvernementaux des E.U. et d’Europe sont impatients de disposer de méthodes appropriées pour tester et interprêter les données permettant d’évaluer les risques, pour la santé humaine, de l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Même avec en main une panoplie de tests bien établis cette évaluation des risques représente un défi à relever. Une période tout à fait passionnante s’ouvre donc aux chercheurs à la découverte des différents mécanismes par lesquels les œstrogènes naturels et les xéno-œstrogènes pourraient agir/interférer dans le système de reproduction.
Traduction :
Raymond Counis, UMR 7079 CNRS Université Pierre et Marie Curie, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.