Joëlle Cohen-Tannoudji
Physiologie de l’Axe Gonadotrope, Inserm ERL U1133
Unité de Biologie Fonctionnelle et Adaptative, Université de Paris-CNRS UMR 8251
L’hypophyse, petite glande endocrine rattachée au cerveau, constitue une véritable innovation au cours de l’évolution puisqu’elle n’apparaît qu’avec l’émergence des vertébrés. Chez ces espèces, les différentes populations endocrines de l’hypophyse produisent des hormones qui régulent de nombreux processus essentiels du vivant. Cette glande a longtemps été considérée, à ce titre, comme le chef d’orchestre de l’homéostasie de l’organisme jusqu’à la découverte de neurosécrétions hypothalamiques capables de réguler son activité. L’hypophyse n’en a pas moins une contribution majeure qui est d’intégrer une multitude de signaux, hypothalamiques, locaux ou apportés par la circulation générale, afin d’ajuster précisément la synthèse et la libération des hormones hypophysaires.
Dans le contexte de la fonction de reproduction, le rôle joué par les cellules gonadotropes au sein de l’hypophyse est particulièrement complexe. En effet, le message ténu porté par la neurohormone GnRH (Gonadotropin Releasing Hormone), un décapeptide synthétisé par seulement quelques centaines ou milliers de neurones selon l’espèce de mammifères, doit être décodé par les cellules gonadotropes pour assurer la synthèse coordonnée de deux hormones gonadotropes, la LH (Luteinizing Hormone) et la FSH (Follicle-Stimulating Hormone). Ces deux hormones, qui réguleront à leur tour les fonctions gonadiques, font partie des signaux les plus complexes utilisés par l’organisme pour la communication endocrine. Elles sont, en effet, constituées de deux sous-unités glycoprotéiques associées de façon non covalente, la sous-unité α commune à ces hormones et les sous-unités β spécifiques (LH β et FSH β). L’intégration du signal GnRH est d’autant plus complexe que la fréquence pulsatile de la sécrétion de la GnRH est très finement régulée et que les changements de cette fréquence règlent des processus essentiels comme la puberté ou encore la plasticité ovarienne au cours du cycle œstrien. Comprendre précisément les mécanismes par lesquels l’hypophyse intègre cette information complexe pour la traduire en une synthèse appropriée des deux hormones gonadotropes demeure un des enjeux majeurs en neuroendocrinologie de la reproduction.
Parmi les nombreux champs de recherche dédiés à cette question, deux ont été explorés plus en détail par notre laboratoire ces dernières années. Il s’agissait tout d’abord de comprendre les mécanismes permettant l’émergence des gènes marqueurs du lignage gonadotrope au cours de la différenciation hypophysaire, et notamment de celui du récepteur de la GnRH qui conditionne le contrôle hypothalamique de la fonction gonadotrope hypophysaire. Il s’agissait également de mieux comprendre le réseau de régulations exercées sur la cellule gonadotrope en étudiant le rôle joué par l’hormone anti-Müllérienne (AMH) et son dialogue avec la GnRH.
Mécanismes de l’émergence de la réceptivité hypophysaire à la GnRH
La régulation génétique et épigénétique du gène du récepteur de la GnRH (Gnrhr) a été étudiée en combinant des approches in vitro sur des lignées de cellules gonadotropes et le développement d’un modèle de souris transgénique. Ce modèle repose sur l’expression du promoteur du Gnrhr de rat contrôlant le gène de la phosphatase alcaline humaine dont l’activité peut être détectée avec une grande sensibilité et une haute résolution. Ces travaux ont mis en lumière que le gène Gnrhr est un des marqueurs les plus précoces du lignage gonadotrope. Il apparaît, en effet, dès le jour embryonnaire 13,5 (E13,5), avant même les gènes codant les sous-unités spécifiques des hormones gonadotropes (1). Son expression est associée à celle du facteur de transcription SF1 (Steroidogenic factor 1, encore appelé NR5A1), un gène lui aussi spécifique du lignage gonadotrope et indispensable à l’expression du Gnrhr chez toutes les espèces de mammifères étudiées à ce jour (2). L’expression du récepteur dans les cellules gonadotropes dépend d’un code transcriptionnel complexe, composé de facteurs ubiquistes comme CREB (cAMP response element) ou AP-1 (Activator protein 1) mais aussi de facteurs spécifiques comme SF1 ou encore d’un hétéromère de protéines LIM à homéodomaines, ISL1 et LHX3, essentielles à la stratification des différents lignages endocrines hypophysaires au cours de leur différenciation (3).
Au-delà des cellules gonadotropes de l’hypophyse, la présence du récepteur de la GnRH a été rapportée depuis de nombreuses années dans une variété de tissus extra-hypophysaires, normaux ou tumoraux, certains liés à la reproduction comme les gonades, le placenta, la glande mammaire ou encore la prostate. Dans plusieurs de ces sites, la détection d’une production locale de GnRH suggère que le peptide pourrait agir en périphérie comme un régulateur autocrine ou paracrine de fonctions cellulaires. Les récepteurs de la GnRH sont aussi présents dans différentes régions du cerveau, incluant le système olfactif, l’hypothalamus, le septum latéral, l’hippocampe ou encore l’amygdale, et des études électrophysiologiques suggèrent que la GnRH pourrait y agir comme un neuromodulateur et/ou neurotransmetteur (4). La caractérisation de notre modèle de souris transgénique a mis en lumière l’expression du gène codant le récepteur dans plusieurs sites encore non décrits comme la glande pinéale ou la rétine. Dans ces structures ou encore dans l’hippocampe, où le transgène est fortement exprimé, le ciblage du Gnrhr repose sur des combinaisons de facteurs de transcription propres à chacun de ces organes et distinctes de celle utilisée par les cellules gonadotropes (2). Le moment d’apparition du transgène est aussi spécifique de la structure. Dans l’hippocampe, par exemple, le promoteur du Gnrhr n’est actif qu’après la naissance puis son activité augmente progressivement jusqu’aux 14-20ème jours postnataux (jpn), une période caractérisée par l’établissement de projections réciproques entre l’hippocampe et le septum latéral. De façon intéressante, à 17,5 jpn, le transgène est localisé dans les neurones de la couche pyramidale de l’hippocampe ainsi que tout le long des fibres depuis l’hippocampe jusqu’au septum latéral. La GnRH, en activant son récepteur, augmente l’expression de plusieurs gènes marqueurs de plasticité neuronale dans des cultures primaires de cellules hippocampiques à ce stade de différenciation (5). Même si les mécanismes d’action de la GnRH restent à être précisés (6), l’ensemble de ces observations suggère que la signalisation GnRH contribue à la maturation postnatale du système septo-hippocampique. Ces données, ainsi que beaucoup d’autres, sont en faveur d’un rôle important de la GnRH en tant que neurotransmetteur et gageons que le développement de nouveaux outils technologiques comme l’optogénétique permettra de mieux comprendre sa contribution à la régulation du fonctionnement cérébral.
Comprendre l’émergence de la réceptivité à la GnRH dans les cellules gonadotropes implique de comprendre celle du facteur de transcription SF1. La mesure de l’accessibilité de la chromatique, sur des lignées et sur des hypophyses de souris en développement, a permis d’identifier une séquence régulatrice distale, caractérisée comme étant un enhancer, qui est localisée dans le quatrième intron du gène Sf-1. Cet enhancer est activé transitoirement au cours de la différenciation hypophysaire, à E13,5, alors que les cellules gonadotropes sont encore à un stade immature, et constitue l’enhancer le plus précocement impliqué dans l’expression de SF1 au cours de la spécification gonadotrope (7). La liaison du récepteur α des œstrogènes (ERα) sur un site très conservé de l’enhancer, conduit à un remodelage chromatinien qui conditionne l’activation de cet enhancer. La liaison d’ERα conduit aussi à des modifications épigénétiques à distance, sur le promoteur de Sf-1, nécessaires à la fixation de l’ARN polymérase II et donc la transcription du gène. ERα est donc au cœur des mécanismes réglant l’expression de SF1 et, ainsi, l’apparition de la réceptivité à la GnRH dans les cellules gonadotropes. Cette découverte s’inscrit dans le paradigme émergent plaçant ERα au cœur des processus épigénétiques contrôlant l’activité des régions régulatrices des gènes (8).
Régulation différentielle des deux hormones gonadotropes : rôle de l’AMH
Une des questions intrigantes concernant la régulation de l’activité gonadotrope hypophysaire est de déterminer comment un seul signal, la GnRH, peut contrôler de façon coordonnée, et quelquefois différentielle, la synthèse des deux hormones gonadotropes. Les travaux de l’équipe de Marshall dans les années 1990 ont mis en lumière que la fréquence pulsatile de la sécrétion de la GnRH pouvait être décodée par les cellules gonadotropes pour favoriser une hormone par rapport à l’autre (9). D’autres facteurs appartenant à la famille du TGFβ (Transforming growth factor beta), comme l’activine, produite localement dans l’hypophyse, contribuent à cette régulation différentielle en stimulant sélectivement la transcription de Fshb. Dans ce contexte, nous avons recherché un rôle régulateur d’un autre membre de la famille du TGFβ, l’AMH. Découverte dans les années 1950 par le Pr A. Jost, le rôle de l’AMH a longtemps été cantonné à la différenciation sexuelle, puis plus récemment étendu à la physiologie ovarienne (10). Que l’AMH puisse jouer un rôle dans le contrôle neuroendocrine de la fonction de reproduction a été suggéré, au début des années 2000, par la caractérisation de son récepteur spécifique, l’AMHR2, dans différentes structures cérébrales ainsi que dans l’hypophyse. Nous avons démontré que ce récepteur est exprimé dans la lignée de cellules gonadotropes matures LβT2 et que sa voie de signalisation canonique y est fonctionnelle (11). Ce n’est pas le cas dans les lignées représentatives des autres populations endocrines de l’hypophyse suggérant que l’AMH ciblerait préférentiellement les cellules gonadotropes. Dans la lignée LβT2, l’AMH régule de façon différentielle l’expression des hormones gonadotropes puisqu’elle augmente sélectivement le niveau des transcrits de Fshb sans affecter ceux codant les sous-unités α et LHβ. Qu’un tel effet de l’AMH puisse exister in vivo a été recherché au cours de la période prépubère, caractérisée par une réactivation massive et transitoire de l’axe gonadotrope avec un dimorphisme sexuel de la sécrétion de FSH en faveur de la femelle (12). Le pic de sécrétion de l’œstradiol qui en résulte serait essentiel à la programmation de la fonction reproductive femelle et notamment à la différenciation des circuits neuronaux nécessaires à la décharge préovulatoire de GnRH (13). Les profils des transcrits de l’Amhr2 et de Fshb dans l’hypophyse de rat au cours de la période prépubère sont similaires, suggérant un rôle de l‘AMH dans le dimorphisme sexuel de la FSH. A l’appui de cette hypothèse, l’administration d’AMH à des ratons pendant la période infantile, à 18 jpn, augmente le niveau des transcrits de Fshb et les concentrations circulantes de FSH chez la femelle alors que ce traitement est sans effet chez les mâles. De plus, aucun effet n’est observé sur la synthèse comme sur la sécrétion de la LH, quel que soit le sexe. Ainsi, l’AMH contribuerait à une sécrétion préférentielle de FSH par les cellules gonadotropes et l’existence de transcrits hypophysaires de l’AMH suggère que cette hormone pourrait y exercer, comme l’activine, une régulation paracrine et/ou autocrine. Si l’effondrement du niveau des transcrits hypophysaires de l’AMHR2 chez la femelle adulte ne plaide pas pour un rôle de l’AMH au-delà de la puberté, ceci mériterait d’être analysé plus en détail. De façon intéressante, l’expression du gène de l’AMHR2 dans l’hypophyse est régulée par la GnRH qui ne l’induit que sous une forte fréquence pulsatile (14). Cette orchestration par la GnRH de la régulation exercée localement sur les cellules gonadotropes a déjà été démontrée pour d’autres facteurs comme l’activine (15). Ceci illustre à quel point la synthèse des gonadotropines est un processus finement régulé.
La façon dont l’hypophyse perçoit et intègre le message GnRH afin de régler de façon dynamique l’activité des gonades est encore loin d’être comprise. Des progrès dans la compréhension de plusieurs aspects, comme la plasticité des réseaux des cellules gonadotropes et de leurs interactions avec les autres réseaux au sein de l’hypophyse, la versatilité de la signalisation du récepteur de la GnRH ou encore la modification du paysage épigénétique en réponse à la GnRH, devraient éclairer plus encore le rôle fondamental joué par l’hypophyse dans le contrôle neuroendocrinien de la fonction de reproduction chez les vertébrés.
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